Ça commence comme du Ari Aster. Comme Beau is afraid. Comme sa première demi-heure précisément, observation du quotidien d’un homme qui peine à s’adapter socialement (parce que anxieux d’absolument tout chez Beau, parce que atteint de neurofibromatose et souffrant du regard des autres chez Edward) et dont les repères se dérèglent (ici l’arrivée d’une nouvelle voisine de palier pleine d’énergie, presque intrusive, une étrange fuite d’eau dans le plafond du salon, un voisin qui se pend…). Ça continue ensuite comme du David Cronenberg (traitement chirurgical innovant et chairs qui mutent), pour finir comme une satire existentielle (qui erait par le prisme du théâtre) à la Charlie Kaufman sur le double, la création artistique, le succès, l’identité et l’acceptation de soi.
Pourtant, A different man a sa singularité bien à lui, et Aaron Schimberg sait manier humour grinçant et élans introspectifs dans un style à l’esthétique vintage évoquant celle des films des années 70. Histoire d’un homme au visage difforme qui, du jour au lendemain, devient «beau», se voit doter d’un physique «acceptable» pour une société obsédée par la norme, A different man interroge la dictature des apparences et sa façon de conditionner nos personnalités (et même nos vies). Car Edward, qui désormais se fait appeler Guy, va faire l’amère expérience des atouts et des revers de la beauté, constatant que le bonheur n’est pas forcément soluble dans une belle gueule.
Schimberg construit un récit gigogne dont on pourra, souvent, se demander s’il n’est pas directement issu de l’imagination d’Edward (d’où vient, qui est cet Oswald à l’aise et guilleret, sorte de mauvaise conscience d’Edward le mettant face à ses préjugés et à ses erreurs ?) tant il cultive son lot de bizarreries, malmène une réalité qui paraît se dérober à la moindre tentative d’emprise sur celle-ci. Déjà dans Chained for life, son précédent film, Schimberg jouait avec une mise en abyme (réel et cinéma qui s’entremêlaient) pour dire et railler, jusqu’à l’absurde, la tyrannie physique. Dans A different man, Schimberg utilise à nouveau ce procédé en faisant de l’existence d’Edward le matériau narratif et d’une fiction théâtrale la rejouant et l’en dépossédant, et d’une réflexion sur une sorte d’imposture sociale de la laideur oscillant entre rejet assumé et bienveillance affectée, faux bonheur et vrai handicap (ou l’inverse). Schimberg est né avec une fente labio-palatine et a subi, dès son plus jeune âge, nombre d’interventions chirurgicales et de moqueries : il sait donc de quoi il parle.
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