Avec Chime, Kiyoshi Kurosawa signe une véritable masterclass sur les fondamentaux du film d’horreur. En 45 minutes à peine, le cinéaste distille une angoisse sourde, presque clinique, à partir d’une situation banale : un cours de cuisine glacial, où l’étrange surgit par le son, le geste ou le silence. La mise en scène, épurée jusqu’à l’os, capte ce moment où la réalité vacille, où le dérèglement devient contagieux. Kurosawa prouve une fois encore que la peur la plus durable naît dans les plis du quotidien.
En une durée fulgurante, Kiyoshi Kurosawa nous livre avec Chime une masterclass magistrale sur les fondamentaux du film d’horreur.
Avec son moyen métrage de 45 minutes, Chime, le cinéaste de 69 ans impose en maître un climat, une altération, une angoisse latente, une attente sans avenir ni é, réunissant avec très peu d’éléments (cadre-scalpel, acteurs quotidiens, calme narratif, irruption de l’étrange dans le banal aliénant, réalité simple qui dévie) la substance même de ce qu’est l’horreur : un malaise dans la civilisation, une zébrure dans l’ordinaire.
Le sentiment du dérèglement
Dans une cuisine jouxtant une gare règne une ambiance austère, anxiogène et peu propice à la distraction. Pourtant, il s’agit d’une leçon de cuisine. Un professeur qui rêve de devenir chef français enseigne la cuisine à un petit groupe d’élèves pas forcément enthousiastes. L’atmosphère est froide et pesante, la caméra clinique et précise, désencombrée de toute artificialité. La mise en scène crée en quelques minutes le sentiment du dérèglement. Sentiment majeur, implacable, devenant l’autre personnage du film, sa propre clé et sa folie.
Chime sonne ce dérèglement magistral, opérant au sein de la société nippone comme au cœur de l’individu. Ce dysfonctionnement commence subtilement (au détour d’une remarque, d’un regard, d’une scène où une jeune fille doit couper de telle manière une aile de poulet – et c’est toute la séquence qui disrupte et semble discorder) puis devient le motif prégnant du film, tout en se propageant et se transmettant de personnage en personnage, tel un virus.
Mélancolie Noire
Un des élèves, en retrait de la leçon de cuisine, semble récalcitrant à l’exercice de « couper des oignons pas trop fins ». Il se plaint au professeur d’entendre un carillon atroce. C’est le début du film. En quelques plans statiques et sobres, la quintessence de tous les films d’horreur est donnée. Avec cette idée forte et vérifiée que le cinéma d’horreur repose sur le son. Comme le duo d’auteurs de thrillers suédois à la Mélancolie noire, Erik-Axl Sund (Corps de Verre), Kurosawa donne corps à cette idée qu’un certain type de son, entendu dans les profondeurs de sa conscience, peut pousser au suicide ou à la psychose.
Dans Chime, le son est un espace de fiction et un cadre de représentation qui crée la transe, la tension et l’énigme à lui tout seul. C’est par ce qu’on soupçonne de l’impossible texture de ce qui est entendu, par ce que l'on devine d'un son de la mort incarné par les visages hagards, hilares ou en effroi, que le cri du son contamine l’histoire.
Ce son accablant, mémoire d’un monde sourd aux offenses faites aux hommes, ce grincement et martèlement fou de ce que la société refuse et prend aux êtres, Kurosawa le capture dans l’essence même de son cinéma hanté.
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