Alors qu’il s’était fait silencieux pendant 6 ans depuis la sortie de Mademoiselle, le retour de Park Chan-wook ne peut que séduire le cinéphile : les retrouvailles avec le réalisateur sont toujours la garantie d’une savante alliance entre la malice d’un scénario retors et l’orfèvrerie d’une mise en scène au cordeau, le tout au service d’un jeu raffiné de déconstruction.
L’architecture de sa nouvelle intrigue se prête à toutes ces marottes : l’enquête criminelle assure un lot d’énigmes à double-face, tandis que le travail de filature et de surveillance par le protagoniste policier va permettre une exploration approfondie du regard, écrin confortable et alibi parfait pour le metteur en scène. Toute la première partie va ainsi faire fusionner l’investigation du personnage et le voyeurisme du cinéaste, pour un déploiement virtuose bien décidé à prouver que le maitre n’a rien perdu de sa superbe. La photographie, d’une netteté glaciale, marie les froides couleurs de la nature aux intérieurs cadrés avec obsession, au point qu’on scrute de la même façon une salle d’interrogatoire ou un appartement sous surveillance. Les transitions plastiques entre les scènes assurent une sorte de vertige qui huile la mécanique imparable d’une fuite en avant, tandis que le fantasme d’une vision en surplomb propulsent l’enquêteur sur les lieux qu’il questionne. Un dédoublement spatial et temporel d’abord euphorisant, mais qui préfigure surtout la perte des repères avant que le bon sens ne s’étiole.
Car c’est là une des évolutions du cinéma de Park Chan-wook que de modérer son recours à aux effets qu’on pensait consubstantiels à son esthétique : dans Decision to leave, la violence et la sexualité sont plus feutrées, moins frontales, pour un rapport à l’image qui, s’il est toujours aussi frappant dans sa construction, pourrait sembler plus apaisé ou mature. La deuxième partie du récit – qui, il faut bien l’ettre, accuse quelques longueurs – évolue vers une thématique qui a toujours été au cœur des intrigues du cinéaste, l’amour pur, voire fou, mais accompagné de nuances nouvelles, qui ne sont plus celles de la vengeance ou d’une intelligence monstrueuse. Le lyrisme se construit dans une intimité modeste, et si les très graphiques scènes d’action (vue plongeante depuis une montagne singulière, course poursuite sur les toits) restent toujours aussi efficaces, l’attention portée aux regards et à la construction d’un couple impossible génère une intensité plus émouvante et moins maline que dans les opus précédents. L’exploration de la barrière de la langue (un motif déjà présent dans Mademoiselle) travaille ainsi le regard sur l’autre, l’attention portée à la prononciation et l’accès à une intimité au-delà du langage qui permet un rapprochement d’une sensualité tout à fait frappante.
Les flottements de la seconde partie accompagnent avec lucidité cette ime tragique sur laquelle se greffent les protagonistes : les indices de l’effacement et des occasions manquées se multiplient, comme pour accepter ce poignant paradoxe : c’est à distance et au travers de parois, de micros ou d’appareils que l’amour sera le plus manifeste. On brule des photos, on efface des enregistrements, tout en rêvant de rester l’affaire irrésolue qui pourra assurer la permanence d’un . Dans le sillage du couple morbide de Vertigo, Park Chan-wook filme les entrelacs d’une liaison condamnée à la dislocation, et son évasion de la ville à la campagne convoque le vent, la pluie et les flots de marée comme autant de motifs de dispersion. Car la quête esthétique se situe bien-là, en témoigne l’attention maladive avec laquelle on avait scruté la rétine d’un cadavre : dans l’idée de marquer les esprits, pour que les images d’un amour en équilibre instable survivent à ceux qui l’ont un jour approché.