Comment "critiquer" une telle prouesse technique quand on n'a pas les mots ?
Comment restituer une telle beauté formelle sans paraître bêtement emphatique ?
Je vais commencer par une anecdote : J'ai vu ce film un peu en retard. Sorti il y a un peu plus d'un an j'ai attendu sa ressortie en salle à la faveur du festival télérama*
Enthousiaste malgré les 4 heures, j'entraine (consentant) un compagnon afin de profiter du spectacle.
Il m'a lâchement abandonnée après la première partie.
Soit ! Tant pis pour lui, j'ai profité seule de la splendeur offerte par le réalisateur.
C'est un habitué de l'histoire puisque son oeuvre se concentre essentiellement sur les 51 heures de fiction documentaire sur l'histoire allemande. L'originalité étant qu'il remonte progressivement dans le temps pour nous raconter, à nous spectateurs fascinés, l'histoire de son pays à échelle humaine et non à celle de la nation.
Resituons l'action :
Toujours dans un village imaginaire de Rhénanie prussienne, Schabbach, vit une communauté représentative du peuple écrasé par les débuts du libéralisme. Pendant deux ans, de 1842 à 1844, on suit Jakob entre rêve et déillusions qui se bat avec son époque, les contraintes sociales et familiales d'un monde finissant.
Ce qui est fascinant c'est qu e derrière la perfection formelle se cache un fond d'une richesse peu commune. Tout est magnifiquement orchestré. Le mystère du paysage qui symbolisent l'aspirations des habitants à une autre vie, la psychologie des personnages qui a rarement été aussi fouillée dans un long métrage qui explore les mystères de l'âme.
Tout cela prend corps au second visionnage car au premier l'oeil se concentre sur la magnifiscence de l'image. Tous les détails composés par l'orfèvre Edgar Reitz sont comme une dentelle qui se découvre aussi bien de loin que dans la minutie des détails.
Dans cette Europe qui s'éveille donc au libéralisme, la est affaiblie par la Révolution de 1830 et l'Europe s'agite de plus en plus. A rebours, les événements de 1848 se préparent et a été accélérée par la crise économique désastreuse qu'illustre ce film. Les peuples se battent pour obtenir des droits et une vraie constitution et en Prusse, c'est du jamais vu.
La soif de liberté pousse les gens à fuir leur pays et à vivre leur rêve. Mais là encore le propos est plus subtil que cela. Qu'est-ce qu'un rêve ? Que devient-il quand il se réalise ?
L'Eldorado pour cette population en proie au deuil, à la famine est le départ vers le Brésil, l'exode vers le soleil et la richesse d'une terre encore vierge.
Jakob rêve de s'enfuir et utilise à cette fin les sciences et la littérature. Entouré d'analphabètes, il étudie les langages des peuples d'Amérique latine.
La version initiale de l'oeuvre durait plus de 5 heures et demie. Comment faire pour que les salles acceptent de le diff dans ces conditions ?
Le rapport au temps étant primordial ici, impossible de trancher dans la masse n'importe comment.
Une voie off, des détails comme un tas de neige, un arbre qui a perdu ses feuilles sont là pour nous indiquer le age du temps.
Un film qui nous attache à ses personnages, qui nous implique dans leur quotidien comme si on en faisait réellement partie.
A voir ou à redécouvrir d'urgence.
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