Un effacement qui nous plonge en apnée
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il y a 4 jours
Voilà un film qui n'est pas aimable, une proposition qui porte son âpreté comme un étendard auquel son allégeance n'est jamais mise en doute et, alors que je pense qu'il laissera beaucoup de monde sur le coté, signe ainsi paradoxalement ce qui pour moi constitue sa singularité, sa force et mon appréciation, qui m'amènent à aujourd'hui le défendre.
Karim Moussaoui ne cherche pas à séduire son public, il l'invite à rentrer dans un dispositif où tous les éléments le constituant sont féroces. Des personnages, y compris le principal, qui tant dans leurs caractérisations et leurs actions n'incitent guère à l'empathie. Un récit parfois abstrait, qui plonge dans la noirceur ou la lâcheté ambiante d'une société sclérosée qui ne se maintien que dans une relation à l'autre uniquement dans une logique de domination, de violence et de hiérarchie de classes.
Reda le fils cadet d'un potentat de la bourgeoisie industrielle proche du pouvoir est un falot, inapte à remettre en question les décisions d'un paternel aussi opprimant qu'inflexible, qui jouera de ses relations et de ses privilèges pour placer son fils à un poste stratégique ce qui lui permettra en coulisses d'agir pour son bénéfice tout en gardant un œil sur ses détracteurs. Mais à l'instar des régimes totalitaires en fin de règnes, cette figure tutélaire vacille déjà sur son piédestal et les voix dissonantes se font jour et plus audacieuses, lorsqu'elles dénoncent la réforme militaire du fils, il n'a d'autres choix que d'effectuer son devoir de service armé.
Plongé sans ménagements dans un univers auquel ni son corps, ni son esprit ne sont préparés et où sa position d'héritier ne le protégera pas, il y découvre la rugosité des s virils, les brimades et la négation de sa personnalité, tout en y intégrant les compétences de l'art guerrier. Le maniement des armes en particulier. Ce basculement brutal opère déjà un premier choc psychologique qui soulève le coin d'un voile qui dissimulait jusque là une certaine perméabilité à une schizophrénie latente, qu'un ultime événement va achever de réveiller, le décès de son père.
Désormais livré à lui-même, loin des siens et privé de ses privilèges, Reda dont le trouble évident va s'exprimer d'une façon pour le moins originale. Son reflet disparait des miroirs. Ce phénomène étrange et fluctuant selon son état psychique est d'abord traité comme un élément fantastique. Les conséquences de ce traumatisme déclenché par sa situation bousculée ne sont pas immédiatement montrées. Au contraire, le film nous offre une parenthèse enchantée, dans cette région reculée, cernée par les regs et frappée d'un soleil implacable, loin des fastes et des conforts de la capitale et du quartier bourgeois de sa famille, Reda découvre une liberté de ton, de pensée, d'action qui se concrétisent aussi dans une relation affective. Toutefois loin d'endiguer sa psychose à fleur de peau, tout comme le timide nuage qui voile le soleil n'aura aucune incidence sur la température caniculaire ni sur la sécheresse ambiante, cette fausse quiétude n'attend que l'étincelle qui déclenchera l'explosion.
L'explosion aura bien lieu, expression d'une sociopathie désormais libérée des carcans qui la retenait, entrainant Reda dans un tourbillon infernal de violence et de rage. Sidérant le spectateur par sa radicalité et l'étrange maitrise nerveuse dont fait preuve Reda à mesure que s'exprime sa perte de connexion au réel.
Référence à peine cachée aux manifestations de colères populaires qui ont menés au printemps arabe, le film traite aussi des rapports de dominations délétères entre pouvoir et subordination, entre tradition rigoriste et émancipation empêchée, entre générations ayant perdues la capacité de communiquer et d'échanger.
Abrupte, sans concession, je sais gré au réalisateur de ne jamais avoir dévié de son intention de départ de nous présenter un film dont le ton est volontiers reclus dans sa dureté. Un choix délibéré qui pourra rebuter, et je le conçois, mais qui emporte mon adhésion sans que je parvienne totalement à y voir l'assouvissement d'une forme de sadisme à observer la violence ou l'inquiétant révélateur d'une tendance masochiste à subir impuissant les calvaires d'un chemin de croix au bout duquel nulle rédemption n'adviendra.
Réservé à un public averti mais quelle claque !
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le 17 mai 2025
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