🔴Pour le lecteur pressé, en moins de 3 minutes : https://youtu.be/3Poj9r6L6wQ
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On pourrait croire à un hasard. Un appel de trop, une voix qui répond sans nom. Baptiste est là, quelque part entre le combiné et son besoin de s’effacer. Pierre, lui, n’en peut plus de sa propre voix. Trop de mots prononcés, trop d’attente suspendue à chaque message laissé. Ce n’est pas une rencontre, c’est un glissement : l’un s’installe dans la voix de l’autre, tranquillement, sans promesse. Et ça suffit pour dérégler l’équilibre. Il ne s’agit pas de tromper, pas exactement. Il s’agit de respirer à la place.
Les silences s’allongent dans l’appartement de Pierre, comme s’ils avaient pris forme. Salif Cissé regarde le sol, souvent, comme si la vérité se cachait sous les meubles. Il n’interprète pas, il absorbe. Podalydès, lui, s’absente à travers sa voix. Doublé mais encore présent. Deux corps, un timbre commun. La parole devient surface de projection. On y entend nos hésitations, nos fuites, nos désirs d’autre chose. Rien n’est accentué. Tout est à peine. Et c’est précisément ce "presque" qui fait vaciller.
Le récit ne cherche pas l’enchaînement logique. Il laisse la place au vague, à l’inexact. Les motivations se perdent en cours de route. Le mensonge n’a pas d’importance ici. Ce qui compte, c’est la vibration de l’échange. Ce qu’on dit quand on croit parler pour un autre. Le téléphone devient confident, instrument, détour. Le répondeur n’est pas seulement une voix enregistrée, c’est un seuil. On y laisse ce qu’on n’ose pas être en face.
Fabienne Godet filme sans fracas. Tout repose sur les décalages minuscules. Les regards échappés. Les phrases interrompues. La bande-son ne commente jamais. Elle accompagne, au bord. Comme si la musique savait déjà que le cœur du film se trouve dans ce qui ne s’entend pas. La mise en scène suit cette logique de retrait. Elle place les personnages dans un espace trop grand ou trop vide. Et c’est précisément là qu’ils se révèlent : dans l’écho.
Il reste une sensation. Que tout ça n’aura servi qu’à ça : comprendre que la voix ne ment pas, mais qu’on peut s’y perdre quand même. Que prêter sa parole, c’est s’exposer à se retrouver. Que parfois, disparaître sous une imitation, c’est devenir audible pour la première fois. Le film ne nous dit pas ce qu’il faut penser. Il laisse une empreinte, floue. Et dans cette trace flottante, quelque chose insiste. Une mélancolie d’avant le langage. Ou peut-être, simplement, la peur qu’un jour le téléphone cesse de sonner.