Il n’est jamais très facile pour un réalisateur d’évoluer à rebours de la trajectoire traditionnelle. On voit souvent des cinéastes commencer par faire leurs armes sur des œuvres assez faciles d’accès avant, quand on leur en donne les moyens, d’affirmer progressivement leur patte et leur dimension d’auteur : plus de radicalité, un primat accordé à l’esthétique, un choix de sujet plus audacieux.
Steve McQueen procède à l’inverse : alors que ses premiers films ont marqué par leur frontalité et des choix de mise en scène exigeants (plans-fixes-séquences oppressants, notamment dans Hunger, longueur terrible de certaines scènes et contemplation chirurgicale de ses personnages), son dernier opus ressemble à une commande plus légère, soit un film de braquage au féminin doublé d’un portrait socio-politique d’une ville, Chicago en l’occurrence.
L’ambition n’est pas pour autant en berne : l’image, grâce au fidèle chef-op Sean Bobbitt est toujours aussi léchée, et joue irablement des noirs, bleus et verts d’une ville nocturne, obscure de ses bas-fonds à ses sommets. Le casting est de haute volée, des vétérans (Robert Duvall) aux jeunes en voie de confirmation (Daniel Kaluuya, à la présence impressionnante) et l’atmosphère chorale se construit avec une indéniable maitrise.
Les intentions stylistiques vont même plus loin, comme si McQueen cherchait, à plusieurs reprises, à montrer qu’un virtuose est à la barre. Marchant clairement sur les terres un peu désertées dorénavant de Michael Mann (on pense à Heat, évidemment, mais aussi au Solitaire), les plans sont composés au cordeau, la ville est métallique et froide, la rythmique tendue et les personnages souvent impénétrables (Viola Davis en tête), rouages inflexibles d’une machine bien huilée ; le formalisme guette cependant, à la faveur de certaines séquences qui cherchent un peu trop à marquer les mémoires, qu’il s’agisse de travellings circulaires lors d’un rap létal sur un parquet de gymnase ou un curieux plan-séquence filmant de l’extérieur une voiture aux vitres teintées durant toute une conversation.
Reste l’écriture. Quelques duos fonctionnent bien : le couple mixte (sur une belle ouverture jouant d’un montage alterné plutôt efficace) ainsi que le père et son fils dans les affres du pouvoir occasionnent de belles es d’arme. Le reste est bien plus convenu, et, étonnamment, ne tient pas vraiment ses promesses. On a tout de même du mal à accorder la crédibilité exigée pour une telle entreprise, et la facilité d’enchainement des événements laisse un peu songeur. Alors que l’intensité se posait d’emblée, elle s’étiole progressivement face à des personnages qui n’évoluent pas, tandis que le récit accuse un contre-coup presque fatal par l’entremise d’un twist aussi inutile qu’éventé.
La forme ne fait pas tout, et cette subtile alchimie qui permet au récit de se déployer ne fonctionne pas vraiment, peut-être parce que le hésite trop entre ses prétentions formalistes et son carcan conventionnel de thriller gangstero-politique. Mc Queen devrait néanmoins persévérer, car Mann attend encore un digne héritier.
(6.5/10)