Premier film de Satoshi Kon, Perfect Blue est un coup de maitre salvateur incarnant les déboires schizophréniques d’une artiste s’enfermant dans une paranoïa destructrice. Mima, belle et jeune chanteuse ayant une ribambelle de fan autour d’elle, fait un virage un 180° dans sa vie en décidant de quitter la scène musicale pour se consacrer au monde du cinéma. Mais ce choix ne sera pas sans conséquences, puisqu’elle perdra toute notion de réalité pendant que les morts s’empileront sur son age. Perfect Blue est autant un thriller psychologique rappelant les réminiscences de réalisateurs tels que Brian de Palma qu’un portrait sombre sur ce monde artistique comblé d’embuches où tout individu peut er des paillettes à la torpeur la plus insoutenable en un rien de temps.
Avec ce fan, au visage terrifiant de dépendance et d’adulation presque perverse, bavant presque de plaisir contemplatif, Perfect Blue porte aussi son regard sur cet univers du spectacle, qui attise les obsessions les plus délirantes, mettant à nu la vie même de ces stars éphémères, devenant la propriété entière du public et de leurs pulsions les plus personnels. Ce qui fait la force de cette œuvre, c’est la présence de ce récit désabusé, un vague à l’âme dans la fragilité de cette ancienne chanteuse à succès, qui doute de son choix de vouloir faire du cinéma. On s’immisce dans ses pensées, le long métrage devient au fil des minutes une plongée frénétique, un puits sans fond dans la psyché de cette jeune femme qui perd tout repère dans un amas d’hallucination anxiogène.
Satoshi Kon maitrise un récit dense, au rythme enlevé et à la complexité singulière. Mais cette maitrise permet de capter notre attention, avec l’aide de son graphisme tout autant déconcertant. L’utilisation de l’animation lui permet de se jouer des images pour encore mieux se jouer de nos certitudes. Le film se distingue donc par un dessin à l’animation d’une fluidité parfaite accompagné d’une photographie somptueuse accumulant les plans d’une classe flamboyante. Le cadre visuel offre des séquences d’une tension impressionnante de vérité. Elégant par la finesse de ses traits et la classe de son environnement, mais violent par la représentation sans concession de certaines scènes chocs à l’interprétation plurielle (viol, meurtre), Perfect Blue est un déluge visuel frissonnant et ionnant, qui laisse place un sentiment oscillant entre émerveillement et frayeur.
Plus le film avance, plus on s’insère dans les pensées névrotiques de l’actrice, qui perd pied petit à petit, pour ne presque plus savoir qui elle est véritablement, gangrenée par un double malsain, pour ne plus distinguer le réel du cauchemar, quitte à revivre des moments identiques. Perfect Blue, est le reflet d’une femme parfaite sous tout rapport, mais n’étant pendant un temps plus maitre de ses pensées, marionnette d’un système étouffant et d’une machination divergeant dans la jalousie et la haine la plus versatile. Malgré cette fin, qui ne permet aucune ouverture d’interprétation, Perfect Blue est une œuvre d’une imagination débordante, foisonnant de transgression narrative fulgurante, et d’une qualité esthétique flamboyante.