Pour faire vivre sa nombreuse et féminine famille (une épouse et cinq filles aimantes) Bill est le propriétaire d'une petite entreprise de vente de charbon.
Lors d'une livraison au couvent de la ville, un de ses clients habituels, Bill assiste à une scène terrible qui le bouleverse où il voit une jeune fille qui hurle, se débat et implore sa mère puis son père de ne pas l'abandonner dans cet établissement. Plus tard, elle suppliera Bill de l'aider à sortir, ce qu'il refa de faire. Au fil des jours, il entend les bruits, les cris, il découvre le traitement infligé aux jeunes femmes de l'établissement, véritables esclaves insuffisamment vêtues en plein hiver qui se lèvent à l'aube et assurent les travaux les plus laborieux. Elles ont été placées là car considérées comme déviantes, certaines sont enceintes. Lorsque Bill fait une découverte encore plus horrible, il se décide à intervenir mais cette intervention est insuffisante. L'influence que ce couvent a sur la population en général et l'éducation des jeunes filles de la région en particulier est telle qu'il est difficile de s'opposer, voire même de critiquer l'établissement. Tout le monde conseille à Bill de se taire et continuer à fermer les yeux. L'enfer intérieur de sa conscience qui le travaille devient un cauchemar permanent pour lui.
Lors d'une scène suffocante entre Bill et la Mère supérieure (Emilie Watson délestée de toute douceur et humanité) cette dernière n'a pas à élever la voix pour proférer des menaces implicites qui mettraient l'avenir des filles de Bill en péril. Il cède, horrifié, devant cette autorité onctueuse et implacable. Le regard réfrigérant, les lèvres pincées et le regard qui vous transperce suffisent à la religieuse pour se faire comprendre. La lutte cauchemardesque entre la conscience, l'humanité d'un homme bon, d'un juste, sa volonté d'aider voire de sauver son prochain rend la vie de Bill de plus en plus difficile.
Le comportement de cet homme illustre magnifiquement cette citation du Talmud : celui qui sauve une vie, sauve l'humanité. Ordinaire, taiseux, presque mutique, introverti et très pieux il cherche à mettre en pratique les principes de la société dans laquelle il vit, engluée dans un christianisme qu'elle ne s'applique pas elle-même. Sauf que contrairement aux dogmatiques religieuses, Bill est naturellement bon, il offre son manteau pour réchauffeur, sa main pour rassurer.
Le titre original, encore une fois bêtement traduit (personne ne ment ici, tout le monde se tait), est : Small things like these (Des petites choses comme celles-ci). L'histoire fait penser à du Dickens, aux Misérables. L'atmosphère grise et pluvieuse, la religiosité ambiante et les méthodes arriérées donnent l'impression d'être au XIXème siècle, pourtant l'action se situe en 1985 et il faudra attendra encore des années pour que ce genre d'établissement disparaisse. Ceux qui ont vu The Magdalene sisters ne pourront s'empêcher de faire le parallèle. Ici contrairement au film de Peter Mullan, les mauvais traitements et abus infligés aux pensionnaires restent hors champs (à une exception près). C'est dans l'atmosphère que tout prend son sens, intrigue et inquiète. Le film d'ailleurs baigne dans une atmosphère étouffante où les symboles religieux semblent peser de tout leur poids hypocrite sur le quotidien.
"Ce film est dédié aux plus de 56 000 jeunes femmes envoyées dans les couvents de la Madeleine entre 1922 et 1998 pour 'pénitence et réhabilitation'. Ainsi qu'aux enfants qui leur ont été enlevés.
J'aime beaucoup cette phrase de Thomas Baurez de Première : "Le problème de Tim Mielants et donc du film en son entier, tient paradoxalement à la force de son acteur principal qui refuse de s’allumer pour rien". Je sens bien que cet avis n'est pas en faveur du film mais je suis d'accord avec le fait que Cillian Murphy qui vampirise le film (en dehors la scène tétanisante où sévit Emily Wastson) n'est pas le genre d'acteur qui en fera trop, là où le minimum suffit. L'observer jouer ainsi, en retenue, avec une économie de mots et une puissance d'incarnation impressionnantes est une véritable leçon. L'acteur oscarisé (à juste titre) pour son interprétation d'Oppenheimer, mondialement célèbre pour celle de Thomas Shelby (dans la série (géniale) et qui vaut presque le détour pour son interprétation démente, Peaky blinders), ne me rendent pas amnésique. Il était déjà inoubliable dans Breakfast on Pluto, Le vent se lève (merveille palmedorée en 2006), ou Sunshine (des films que je vous encourage vivement de voir). Nous le retrouverons bientôt avec bonheur dans 28 ans plus tard de Danny Boyle qui fait suite au film d'horreur et de science-fiction qui avait fait connaître Cillian Murphy en 2002, 28 jours plus tard, mais surtout dans The immortal man de Tom Harper la suite de la série Peaky blinders (hélas, prévue pour cette merde de Netflix, j'enrage).
J'aime cet acteur mystérieux au visage étrange et au regard magnétique. J'aime qu'il ne se répande jamais dans les media, qu'il vive en Irlande son pays adoré, avec femme (la même depuis 30 ans) et enfants. Et j'aime ce qu'il dit dans le dernier Télérama. Extraits :
"J'ai toujours mené une vie tranquille et ça n'a pas beaucoup changé. Je suis très fier que les gens aient apprécié Peaky blinders et Oppenheimer, mais je n'y pense pas trop...
Le travail devrait parler pour lui-même et l'acteur se taire...
Pour moi être acteur c'est simple : on arrive à l'heure, on sait son texte et on soutient l'équipe. Tout le reste c'est du bruit."