Tous les films majeurs de John Woo sont extrêmes et à la limite de la caricature. C'est justement l'excès unique de ses films qui le définit en tant que réalisateur et définit du même coup tout un pan du cinéma HK dont il est un des grands constructeurs. Le jeu des acteurs fait donc pleinement parti de cet excès tout comme l'enchaînement de situations extrêmes (...ment improbables) construit l'empathie pour une descente aux enfers inégalée. Tenter de comparer ce Woo en particulier aux étalons classiques du cinéma serait à mon avis une erreur. La puissance jouissive d'Une balle dans la tête reste évocatrice car elle ne met justement en jeu que les extrêmes et se fonde sur une vision du cinéma elle-même déformée et caricaturale.
Plus profond, personnel, dépaysant et moins gnangnan que The Killer, Une balle dans la tête peut se résumer à une plongée vertigineuse de l'amitié au coeur de la violence.
D'une petite rix à hong kong à coup de canifs et de battes de baseball, niveau de violence basique pour les compères en question, le chemin vire irrémédiablement et rapidement vers la mise à vif des personnages, brillante cristallisation du cinéma de Woo. La révolte des jeunes Hongkongais qui explose tout d'abord puis l'horreur bien réelle de la guerre au Vietnam et des centaines de victimes civiles, et enfin l'escalade malsaine qui suit ne sont qu'artifices brutaux visant à explorer les failles des protagonistes et exploser les limites mêmes du cinéma excessif. Dans un tel contexte, qui de l'amitié ou de l'argent sera le plus fort ? Le thème principal des films de Woo atteint ici ses lettres de noblesse les plus sanglantes.
Les personnages se croisent, s'entraident et se déchirent sans arrêt jusqu'au final crépusculaire. Les acteurs sur le fil y sont juste scotchant. Les scènes d'action extrêmes (moins chorégraphié que the killer), le rythme très particulier, sorte de course morbide pour la vie sur le fil du rasoir et une tonne d'autres merveilles font de ce film un chef d'oeuvre brutal et sans concession, digne héritier des polars âpres HK du début des 80's et consolidation majeure de son navet bestial "Les Larmes d'un héros".
"Bullet in the head" est à mon avis le meilleur John Woo simplement parce qu'il est son film le plus personnel et le plus extrême. Celui où la concession et l'accalmie n'existent jamais, celui qui va jusqu'au bout du bout de la logique Woo : amitié écartelée, bafouée, densité, violence de l'action et pression non stop. C'est le film où l'on sent vraiment John Woo à fond, impliqué jusqu'au cou, motivé et donc motivant.
"Il s'agit une fois de plus de ces films dont les imperfections renforcent la dimension humaine de l'oeuvre." En effet, c'est ça aussi qui fait la puissance de "bullet in the head", son côté brut de décoffrage qui respire la sincérité de l'âge d'or du cinéma HK.