Jean Baret porte plutôt bien son nom. L'univers qu'il propose dans "Bonheur TM" est en effet complètement fou. Trop peut-être.
Bienvenue dans un monde...
...où la consommation est un impératif catégorique ; la non-consommation, néfaste pour la production et l'économie, étant sévèrement réprimandée ;
...où pour tout besoin doit exister une prestation ou un bien monnayable, le cas contraire étant considéré comme une faille du système à laquelle il doit être rapidement répondu ;
...où l'espèce humaine se décompose en une multitude de catégories et sous-catégories dans lesquelles le corps et le genre ne sont devenus que des données variables et malléables ; où se côtoient mutants, furri, transgenre, poupée humaines, u-man et autres netrunners...
...où chaque être n'est plus appelé par son nom, mais par celui de son sponsor de vie ;
...où la fonction utilitariste de l'Intelligence Artificielle a été poussée à son maximum, sans autre considération que favoriser l'achat et la consommation de biens et services ;
...où chaque information constitue une occasion de parier en direct sur l'issue des conflits en cours, le nombre de morts et de blessés, l'identité des assassins ou encore la date de déclenchement des prochaines guerres ;
...où tout est connecté, où les "Hubs" existent pour tout et n'importe quoi, où "FaceHub" est une institution, où les hologrammes de publicités, de messages, d'assistants personnels sont partout ;
...où la liberté est la règle, tant qu'elle ne nuit pas à la consommation ;
...où les principaux crimes consistent à ne pas consommer, ou à consommer pour autrui.
Dans ce monde dystopique, tous les curseurs liés aux dérives potentielles du néolibéralisme semblent avoir été poussés au maximum. C'est probablement ce qui fait fait la force de ce livre, mais aussi ce qui peut laisser de côté nombre de lecteurs qui tenteraient l'aventure.
Tout est radical, sans nuance. Du fond jusqu'à la forme.
Sur la forme, la répétition des mêmes mots, mêmes verbes, mêmes phrases, mêmes anglicismes, mêmes paragraphes, mêmes énumérations au fil des chapitres.
Sur le fond, la répétition à quelques détails près, du même quotidien, des mêmes gestes, des mêmes habitudes, des mêmes lieux, des mêmes personnages, des mêmes attentats, des mêmes marques, des mêmes publicités, des mêmes discussions.
Dans les deux cas, la même chose, jusqu'à l'overdose. Les descriptions très graphiques permettent de bien se représenter cette surabondance agressive d'images, de marques, de technologies, de consommation.
Bonheur TM est davantage la mise en scène de personnages (principalement deux :Toshiba et Walmart) au sein d'un quotidien dystopique, qu'un roman au sens classique du terme avec ses héros, ses antagonistes, son histoire... On est à l'opposé du roman picaresque.
Il y a certes une intrigue "fil rouge" qui irrigue le récit du début à la fin, mais elle pourrait se résumer assez rapidement et ses enjeux semblent presque secondaires. Elle semble surtout servir de à la description de cet univers et à tous ses excès. En lisant Bonheur TM, il ne faut pas s'attendre à d'incroyables rebondissements ou à un suspens haletant. C'est par la radicalité de l'univers et son implicable logique dont il ne dévie presque pas que ce livre tient en haleine son lecteur.
Qui dit néolibéralisme dit mondialisation, américanisation et appropriation culturelle. Les anglicismes et références à des phénomènes culturels importés sont extrêmement nombreux. Dans cette société, on peut ainsi être libre (tant que l'on consomme) de pratiquer la religion que l'on souhaite, que ce soit le rastafarisme ou bien l'usulisme de Dune ; on peut participer à un concours de création d'un futur Pokemon ; on peut prendre une bière dans un "murder bar" et siroter sa boisson au milieu d'hologrammes représentant la tuerie de Charlie Hebdo puis l'assassinat de Kennedy ou encore laisser son IA gérer ses discussions instantanées sur FaceHub. Le livre est émaillé de dizaine de situations toutes plus ubuesques les unes que les autres, mais qui ont en commun de présenter, d'une manière ou d'une autre un lien avec une société de post-consommation exacerbée.
L'injonction à la consommation qui fonde cette dystopie, n'est pas sans rappeler l'injonction au bonheur qu'on peut retrouver dans d'autres ouvrages ou ailleurs. Cette injonction est ici poussée dans sa plus extrême expression. Cette approche peut plaire par son radicalisme tout comme elle peut rebuter par son manque de nuance.