Agrippine qui a enfanté un monstre et qui s'en aperçoit beaucoup trop tard, Narcisse, traître sans la moindre vergogne qui vendrait le rein de sa mère pour assouvir sa soif de pouvoir, Britannicus, qui va payer sa trop grande confiance en l'être humain, Junie, la fiancée fidèle à toute épreuve du malheureux fils de Claude, Burrhus, gouvernant prêt en toute conscience à périr plutôt que de faire tort à sa probité, et bien sûr, Néron, monstre de cruauté et de froideur mais à une période où il était encore obligé d'adopter une attitude et où il avait encore un peu, pour un court moment, le cœur d'un être humain...
Ecrit à une époque où il était victime d'une "cabale" pro-Corneille, Jean Racine était bien décidé, avec son caractère de cochon, à montrer qu'il n'allait pas s'en laisser conter et a défié l'auteur de Cinna sur le propre terrain de ce dernier, la tragédie antique.
Et une offense peut mener quelquefois à quelque chose de grand et de beau ; on en a un grand et bel exemple ici. La lutte de pouvoir est laissée pratiquement de côté, Britannicus ayant fait son deuil de ce dernier, pour une rivalité amoureuse, car il en fallait toujours une pour le créateur d'Andromaque, avec Néron qui veut Junie, la promise de Britannicus. Ça donne deux personnages fascinants, Néron, par sa cruauté, Junie, par sa pureté.
Cet antagonisme est pour moi le cœur de cette pièce ; ce qui la rend particulièrement puissante. Les tourments psychologiques des autres personnages ne font qu'ajouter de l'épaisseur à un ensemble prenant de bout en bout.
Les deux meilleurs moments selon mon humble avis sont deux hypotyposes : celle racontant la mort de Britannicus et celle, saisissante, qui apparaît comme une sorte d'éclair violent et aveuglant, de la brève confrontation entre Narcisse et Junie.
Narcisse, plus hardi, s'empresse pour lui plaire: Il vole vers Junie,
et sans s'épouvanter, D'une profane main commence à l'arrêter. De
mille coups mortels, son audace est punie; Son infidèle sang rejaillit
sur Junie.
Peu fidèle à la vérité historique, en réponse on pourrait répliquer pour Jean Racine la citation d'Alexandre Dumas :
Il est permis de violer l'histoire, à condition de lui faire un
enfant.