Du muet au bâillonné.
George Wilhem Pabst fut un des plus grands réalisateurs du cinéma aphone dans lequel les acteurs ne surjouaient pas du tout…. Il révéla Garbo (La rue sans joie) et Louise Brooks (Loulou qui prouva...
Par
le 2 mars 2025
« Car tout cela va er. L’art, lui, va rester. » Est-ce à dire qu’en matière d’art, la fin justifie (tous) les moyens ? L’auteur allemand Daniel Kehlmann s’inspire librement des accommodements du cinéaste Georg Wilhelm Pabst avec le régime nazi pour sonder, entre ombre et lumière, la responsabilité des artistes quand création rime avec compromission.
Aujourd’hui oublié, il connut le succès au temps du cinéma muet, faisant connaître Greta Garbo, transformant Louise Brooks en icône et s’imposant aux côtés de Murnau et de Fritz Lang comme l’une des plus grandes figures du cinéma allemand. Snobé par Hollywood après avoir fui la montée du nazisme, il préféra rentrer en Autriche pour s’y retrouver bloqué par la guerre, s’évertuant malgré tout à poursuivre son art coûte que coûte, fût-ce au service du IIIe Reich et de la glaçante Leni Riefenstahl.
Donnant chair à ce squelette historique au moyen d’une exofiction bâtie sur l’ambiguïté, Daniel Kehlmann fait revivre le cinéaste Pabst sous les traits d’un homme, mi-réel, mi-fictif, qui ne vit que pour le cinéma et ne perçoit le monde et la réalité qu’avec une caméra à la place des yeux. Obsédé par son art et la quête de son prochain chef d’oeuvre, l’homme qui, même au plus près du danger, réarrange mentalement la moindre scène en séquence cinématographique, est tellement absorbé par sa recherche de perfection qu’il en arrive à pactiser avec le diable, persuadé que « les temps sont toujours étranges », mais qu’« avec le recul », l’on s’aperçoit immanquablement que l’art était « la seule chose qui valait la peine ». Alors, louvoyer pour satisfaire Goebbels et de tous les moyens, même de prisonniers des camps comme figurants, n’est pas le plus important. Ce qui seul compte, c’est de faire œuvre de génie, tant pis pour les circonstances.
Certes pas plus mauvais bougre qu’un autre, faisant juste au mieux de chaque situation pour se mouiller le minimum et faire feu du moindre bois à sa disposition, notre personnage en arrive forcément, même à son corps défendant, à d’inévitables compromissions. Le tout pour un tournage ubuesque dans une Prague en pleine débâcle, un tour de force à l’origine du age le plus haletant du livre et de plusieurs scènes d’anthologie, alors qu’enfin monté dans des conditions vertigineuses, le film disparaît, ses bobines perdues et son auteur plus sûrement anéanti par l’évaporation de son œuvre que par la mort elle-même.
Bien loin du pur récit biographique, Jeux de lumière tire parti du parcours de vie d’un personnage réel pour en faire l’incarnation de l’artiste prêt à tout sacrifier, morale comprise, pour la réalisation de son œuvre et la reconnaissance de son génie. Lui-même très cinématographique, donnant à voir sans commentaire ni analyse psychologique, le roman est aussi ionnant qu’ambigu, son personnage constamment sur une ligne de crête louvoyant au du mal dans l’orgueilleuse conviction de ne se compromettre qu’à bon escient. Ou comment pactiser avec le diable… Coup de coeur.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.
Créée
il y a 4 jours
Critique lue 8 fois
2 j'aime
George Wilhem Pabst fut un des plus grands réalisateurs du cinéma aphone dans lequel les acteurs ne surjouaient pas du tout…. Il révéla Garbo (La rue sans joie) et Louise Brooks (Loulou qui prouva...
Par
le 2 mars 2025
La rue sans joie, Loulou, Le journal d'une fille perdue, ... Les cinéphiles connaissent parfaitement le réalisateur autrichien Georg Wilhelm Pabst, qui fut l'un des trois piliers du cinéma muet...
Par
le 22 févr. 2025
En 1986, un vieil homme agonise dans une abbaye italienne. Il n’a jamais prononcé ses vœux, pourtant c’est là qu’il a vécu les quarante dernières années de sa vie, cloîtré pour rester auprès d’elle :...
Par
le 14 sept. 2023
20 j'aime
6
Emile n’est pas encore trentenaire, mais, atteint d’un Alzheimer précoce, il n’a plus que deux ans à vivre. Préférant fuir l’hôpital et l’étouffante sollicitude des siens, il décide de partir à...
Par
le 20 mai 2020
19 j'aime
10
Lui-même ancien conseiller de Matteo Renzi, l’auteur d’essais politiques Giuliano da Empoli ressent une telle fascination pour Vladimir Sourkov, « le Raspoutine de Poutine », pendant vingt ans...
Par
le 7 sept. 2022
18 j'aime
4