Nous sommes placés dans la situation la plus étrange possible où l'homme vit exactement l'inverse de ce que objectivement il devrait vivre. Dans une société la plus pacifiée, la plus assurée qui ait jamais existé, l'homme vit dans une incertitude et une peur croissantes. Dans une société la plus scientifique, l'homme vit sur le mode irrationnel, dans une société la plus libérale, l'homme vit la "répression" et même la sur-répression ; dans une société où les communications sont le plus développées, l'homme vit dans une sorte de fantasmagorie ; dans une société où tout se fait pour établir les rapports, l'homme vit dans la solitude... Et il semble que chaque progrès nourrisse dans le vécu de l'homme exactement son contraire. Jamais l'homme n'a eu autant de moyens de faire l'histoire et son histoire, jamais il ne s'est senti aussi totalement déterminé, aussi réduit. Et le voici pris dans un étonnant système d'actions et de réactions. Car plus il lutte pour desserrer ce qu'il considère comme ses liens, plus il les resserre. La technique lui a fait un merveilleux univers de puissances et d'objets. Il accepte les puissances, sans même s'en rendre compte et commence à craindre les objets, car sa vie n'a pas de sens et sa crainte est de se voir évincer par les choses. Mais comme le seul sens possible de toute son activité est justement de se procurer davantage d'objets, car telle est la seule valeur possible que lui offre le système en compensation de son travail, il achète sans cesse et augmente son angoisse en étant envahi par les objets. Monde clos. Système. Absurde. Angoisse.
Triomphe de l'image en un temps où tout est devenu spectacle. Je ne reviendrai pas sur cette qualification. Mais elle s'accorde avec le fait que l'homme dans un univers illusoire parce que composé des images transmises par les M.M.C. Son monde n'est plus celui de son expérience quotidienne, de sa médiocrité vécue, de sa personnalité connue, de ses relations renouvelées, il est devenu l'immense décor planté par les milliers d'informations presque totalement inutiles pour sa vie mais fulgurantes, ionnantes, traumatisantes, exaltantes, édifiantes, dans leur insignifiance radicale, et qui lui donnent enfin l'impression de vivre quelque chose qui vaille la peine, alors que tout le reste est incolore et trop manifestement sans poids. Singulière perversion qui a conduit l'homme de ce temps à donner poids et sens à ce qui ne le concerne en rien, qu'il lit dans le journal ou voit à la T.V, et à réc poids et sens à ce qu'il vit effectivement durant ses vingt-quatre heures quotidiennes. Et cet échange se comprend sans mal. D'un côté, tous les chatoiements et les prestiges accumulés des moyens techniques les plus glorieux avec les messages les plus exaltants ou terrifiants, de l'autre la grisaille des médiocres amours toujours un peu ratées, du travail sans intérêt, des "salaires raccourcis", des camarades étrangers, de la femme ménagère. Il vaut mieux vivre dans cet illusoire magique, et juger à partir de lui le banal et l'ennui qui ressortent d'autant mieux que l'on refuse le quotidien sans en chercher l'humble valeur et l'humanité. Mais c'est alors se vouer à l'illusoire, vraiment illusion - et que l'on prend pour le réel. Et je ne veux pas dire du tout par là que l'homme croit que le spectacle télévisé est plus réel que l'usine.. Ce n'est pas de cette façon que s'effectue le transfert, mais bien, par exemple en politique, l'incapacité à discerner ce qui est pure imagination du concret, en économie le refus de considérer le possible effectif au profit de rêves. Et c'est ainsi que la Révolution prend un visage tout à fait illuminé en même temps qu'exsangue, et que de nouveau renaissent les utopies. Mais vivre dans l'illusion lyrique offerte par l'environnement spectaculaire du monde moderne, c'est abolir l'histoire à faire ; l'exigence est toujours celle du Tout, et tout de suite - le rêve de la Révolution économise la conquête quotidienne, comme le rêve du loisir absolu supprime le combat pour le sens à donner à aujourd'hui. L'illusoire est forcément métaphysique. L'homme quelconque, parce qu'il est maintenant situé par les M.M.C dans un univers imaginaire, vit dans un monde métaphysique. C'est pourquoi il est en même temps si facile à émouvoir et tellement inaccessible. Il n'avance nulle part. Et croyant au progrès en soi, il devient de plus en plus incapable d'exigence personnelle et d'édification de la personne. Il n'est à l'aise que dans un climat d'absolu, de Tout ou Rien, d'Eternité. Mais cela exclut l'espérance. Il saute par-dessus le réel, il saute par-dessus l'intermédiaire des temps, pour entrer de plein-pied dans la société idéale, finale, où tout est résolu. Il rêve, mais n'espère plus. Et quand par malheur le rêve casse, l'illusion se dissipe, l'idéale se manifeste inaccessible, alors, ne reste plus que la mort.
L'école du soupçon :
Nous avons appris à ne plus faire confiance à rien, à ne plus avoir foi en personne, à ne plus croire en une parole, ni en un sentiment, à ne plus accepter la durée d'une relation, à ne plus ettre qu'il puisse y avoir une authenticité, ni une identité de l'être. Nous avons appris que tout bon sentiment exprime seulement une autosatisfaction ou une hypocrisie, que toute vertu est mensonge, que toute morale est fausse, que tout dévouement est vain ou comédien, que toute parole cache la vérité... nous avons appris que seul le mensonge est exact, que seul le meurtre du père est cohérent à l'être, que l'inceste avec la mère est notre plus grand désir, que nous ne sommes jamais désintéressés, que nous sommes irrémédiablement aliénés : à l'argent, que nous en ayons ou non, à notre classe ; à notre enfance... Et tout cela est sorti du domaine éthique. Car, jusque là, le christianisme avait bien enseigné que l'homme est "mauvais", "pêcheur". Mais il enseignait en même temps la grâce et le pardon. C'est à partir de la grâce que l'homme pouvait savoir quelle profondeur était en lui - et c'est en tant que gracié qu'il découvrait le pêché : c'est-à-dire comme une réalité, grave sans doute mais déée. D'autre part, c'était un jugement éthique, et par conséquent, discutable, non inéluctable. [...] Or, ces mêmes faits soulignés par le christianisme (tendance à l'inceste, esprit de puissance, haine du prochain, etc.) sont maintenant qualifiés de façon scientifique, cernés, définis objectivement, expliqués de manière irrécusable. La grande mutation consiste en une transformation de la base même. Ces faits deviennent eux-même inéluctables : ils ne sont plus le mal dans l'homme, mais l'être même de l'homme. [...] et l'homme s'est trouvé devant son néant, devant ses spectres et ses goules, livré à des phantasmes pseudo-scientifiques, à des vampires renaissant sans cesse de leur consommation de toutes les vertus, et du bien essayé vainement. Il s'est trouvé entraîné par un sort fatal, dans un drame inévitable, dans la négation de lui-même. Comment vivre encore dans ces conditions lorsque, par quelque bout que l'on prenne la vie, elle est falsification. Sur le plan social et sur le plan intérieur, dans la relation avec la société, avec les autres, avec la femme que j'aime, avec moi-même, j'ai appris que tout est falsifié. Je ne puis évite maintenant la question "qu'est ce qui se cache derrière ? qu'est ce que je me cache ? qu'est-ce que l'on me cache ?"
Si nous voulons retrouver une espérance, il nous faut, sur le plan intellectuel, spirituel et social, procéder à un véritable désenchantement, à une sortie hors de la caverne magique. Il nous faut retrouver le soleil et l'authenticité de la vertu. Il faudrait arriver à faire à leur égard la même opération que Kierkegaard a effectuée envers le mythe hégélien. Car nous ne devons pas oublier que c'est Kierkegaard, et non pas Marx, qui a démystifié Hegel, qui a remis la dialectique sur ses pieds, c'est Kierkegaard et non pas Marx qui a su transcender Hegel et restituer l'homme. Marx n'a sur qu'enfermer l'homme davantage dans le domaine hégélien, et il a ajouté le destin économique au destin de l'Etat, appelé Liberté. Ce que Kierkegaard a fait, nous devrions pouvoir le refaire. Mais, il ne l'a pu qu'en se référant avec rigueur à la révélation en Jésus-Christ, c'est-à-dire en remettant la réalité de l'opération intellectuelle qu'il entreprenait à la liberté d'action d'un plus puissant que lui. Tout dépend de là. Mais précisément notre ensorcellement consiste en la volonté, "pour être honnête et sérieux", à ne plus compter que sur nos propres forces et à réc transcendance et puissance radicale du Tout autre. Il est assuré que piégés de cette façon nous ne risquons pas de désamorcer l'hameçon, de dénouer le filet. Ce n'est plus de notre propre force et de notre compétence. Mais ce "plus", c'est seulement le signe de la fin de toute espérance.
L'imposture :
L'homme moderne est fier de sa lucidité, il sait qu'il appartient à l'univers de l'élucidation. Mais en même temps, il ne peut tolérer la vue de sa condition effective. Il accepte dès lors des schémas qui semblent donner une clef sans le faire. Il adhère à un existentialisme diffus mais récuse l'existentiel, il et d'évidence un matérialisme simpliste, la lutte des classes, les conflits de rapports de production, il bat sa coulpe devant le colonialisme, l'impérialisme, le racisme, la faim du monde, le sous-développement, mais précisément parce que tout cela ne l'engage en rien, que ce sont des fictions explicatives, et que rien de son univers effectif n'est engagé. Il accepte toutes les accusations, à condition qu'elles ent à côté de ce dont il est réellement coupable. Il veut bien appartenir à l'universalité du "nous sommes tous des assassins" mais non à la logique du système technicien. Pour éviter ce qui le mettrait en question réellement, il adopte justement l'explication qui le met en question fictivement : il est alors quitte, il a la mauvaise conscience qui prouve qu'il n'appartient pas au monde affreux du bourgeois, il accepte l'accusation portée réciproquement par tous les membres du même groupe, il se reconnaît coupable... en continuant à dissimuler soigneusement sa responsabilité effective, et en acquérant ainsi à bon marché la bonne conscience d'avoir mauvaise conscience (fictive).
L'espérance au temps de la déréliction :
Eh bien, non ! malgré mon pessimisme bien connu, malgré les analyses sociologiques que j'ai pu faire et qui montrent le caractère implacable du déroulement des systèmes, malgré l'absence de liberté que je vois partout, malgré l'inefficacité de la puissance des moyens humains pour répondre aux vrais questions, malgré les fatalités qui s'enchaînent, malgré cette déréliction de Dieu, je ne suis pas désespéré. Pas du tout. Maintenant, au contraire. C'est maintenant, dans ces conditions, dans cette situation-là que l'espérance a lieu. Autrement, elle n'est qu'un petit épice superficiel, pour ragoûter la sauce, mais nullement indispensable. C'est maintenant et dans ces conditions-là, que l'espérance est la force indispensable, qu'elle a sa raison d'être, qu'elle est vraie nourriture, qu'elle charge le pain et le vin de leur sens.
Si je devais donner une "définition", je dirais que l'espérance est la réponse de l'homme au silence de Dieu. Quand Dieu parle, à quoi bon l'espérance, que signifierait-elle encore ? C'est ici que s'applique aussi le texte de Paul sur la foi : "Actuellement nous voyons comme dans un miroir une image trouble et déformée, alors nous verrons face à face. Aujourd'hui, nous connaissons par éclair et au travers d'ombres, alors nous connaîtrons comme nous avons été connus" (paraphrase de 1 Cor, XIII) quand la Parole de Dieu nous saisit de son illumination, quand elle s'éclate dans notre vie ou dans le monde, quand elle se transforme d'écriture morte en bouleversement vivant, quand le bouleversement se retraduit dans une œuvre, une écriture... à quoi bon l'espérance ? Même si cette parole est celle d'une promesse, d'une désignation ultérieure, d'un renvoi vers ce qui doit venir, le fait qu'elle soit parole de Dieu lui donne une telle richesse, une telle présence, une telle plénitude, que ce n'est pas dans l'espérance que l'homme est situé, mais dans l'assurance, dans l'esprit de force et d'audace, dans le mouvement joyeux du martyr inébranlable. Quand Dieu parle, quelle signification aurait encore l'espérance : le royaume de Dieu est là, la résurrection est acquise, l'eschatologie est réalisée. Et c'est probablement aussi pourquoi nous trouvons dans le cours de l'Eglise ce mouvement inconscient, ce balancement d'une théologie de la présence à une théologie de la promesse, et réciproquement. Quand la parole de Dieu est présente d'une façon éclatante, indiscutable, quel besoin aurait-on d'une théologie de la promesse : ce n'est pas le possible futur qui compte, c'est l'actuel incarné. L'Eglise formule une théologie de la présence, en oubliant quelque la décisive eschatologie. Quand nous nous trouvons dans la période de silence et de stérilité, quand la Parole de Dieu se fait rare, intransmissible, incompréhensible, alors on se trouve rejeté vers l'eschaton, et la théologie de l'espérance devient essentielle. L'une n'est pas plus vraie que l'autre, mais tout dépend des temps. [...] L'espérance, c'est que cette Parole de Dieu puisse être encore dite, encore naissante, encore décisive. Mais c'est bien plus que cela encore, c'est non pas seulement l'attente, ou la certitude, c'est l'exigence. Quand Dieu se tait, il faut le forcer à parler. Quand Dieu se détourne, il faut le forcer à revenir. Quand Dieu semble mort, il faut le forcer à être. Et cela pourra prendre forme dans l'appel angoissé, la plainte, la lamentation, la prière de repentance. Et cela pourra prendre forme dans l'audace, dans la protestation, dans la violence contre Dieu, dans l'accusation. Tous les moyens sont bons pour l'espérance, dans son refus que Dieu soit absent. Tous les moyens, toutes les attitudes, toutes les ruses. L'espérance n'est ni paisible confiance, ni timide rejet sur le futur, ni stérile espoir, elle est effectivement la réponse totale, pleine, vigoureuse d'un homme total et ferme, en présence du refus de Dieu, de son silence et de son détournement. Elle est la provocation adressée à Dieu. Dans un sens, dès lors, on peut dire que l'espérance est blasphématoire.
C'est alors l'attitude de Job qui est par excellence l'attitude de l'espérance. Celui qui ose proclamer Dieu injuste parce qu'il ne se manifeste pas comme il a dit qu'il était. Quand Jésus-Christ dit qu'il est avec nous jusqu'à la fin du monde, l'espérance est d'exiger qu'il en soit ainsi, et lorsque l'on constate que manifestement cela n'est pas, ref de se réfugier dans des drogues et des explications abstraites pour entrer en conflit avec Dieu, et demander inlassablement cette présence. Et quand il nous a été annoncé que des miracles accompagneraient notre vie, que les serpents ne mordraient pas et le poison ne nous tuerait pas, l'espérance c'est ref que cela soit façon de s'exprimer, symbolisme d'une réalité purement spirituelle, c'est ref l'idée que s'attacher à des miracles c'est encore obéir à une mentalité primitive, magique, matérialiste, qui conserve les choses les moins importantes (le miracle), négligeant ce dont elles sont signe, qui donne importance au signifiant, en négligeant le signifié hautement spirituel, c'est-à-dire désincarné : une telle théologie, de telles explications couvrent en réalité une désespérance fondamentale, une résignation. Même si le miracle est relativement peu importante (ce qu'il est), même s'il n'est en effet que signe d'une bien plus grande réalité, et s'il est vrai que nous devions nous attacher aux choses les plus importantes, cependant, le miracle a fait l'objet d'une promesse qui n'est pas seulement spirituelle, mais très concrète - et surtout, il faut bien comprendre dans ces histoires de signes-signifiants-signifiés, que là où il n'y a pas de signe, il n'y a pas non plus de signifié : que si vous vivez dans une absence totale de signes, vous ne pouvez absolument pas prétendre vous référer directement au signifié.
Ainsi, l'espérance provoque une attitude qui est exactement l'inverse de celle que spontanément nous adopterions. Car, en bon chrétien pieux et soumis, nous sommes prêts à toujours nous acc, nous humilier. Si nous constatons que Dieu s'est détourné, notre premier mouvement est celui de l'examen de conscience, de l'auto-accusation : Dieu avait un "motif" (mais il est pourtant celui qui agit au-delà de tous les motifs, et sans cause !). Nous avons commis de très grands pêchés - et c'est sûr. Mais pas plus grands que ceux du Ier siècle ou du XVIe...Alors il faut nous repentir nous humilier, confesser nos pêchés. Et c'est très bien de le faire. Mais quand on l'a fait, on n'a rien fait. Le ciel est aussi vide, et la Parole aussi absente. Quand on l'a fait (et certes, il faut le faire !), on reste béant, au bout d'une route qui ne continue pas... Car enfin Dieu a bien dit que nos pêchés étaient pardonnés en Jésus-Christ. Alors... si ça ne marche pas, c'est qu'il y a autre chose que nos pêchés. Et nous n'avons pas à nous asseoir avec résignation au bord de cette route, lassés, en attendant que ça change. L'espérance est le contraire de la résignation. Et c'est elle seule (et non la révolution !) qui l'est.
Espérance et apocalypse :
Ce n'est pas exact, humainement, que le Royaume de Dieu est là. Et c'est un reproche si souvent entendu "depuis deux mille ans, le christianisme essaie de résoudre les problèmes de la société, il a échoué. Il n'a pas fait régner la paix et la justice..., etc." Simplement un premier malentendu réside dans la question de savoir si le christianisme était fait pour établir la paix, la justice politique ou sociale, s'il était le facteur d'organisation de la société. Ceci c'est l'attitude médiévale de la chrétienté. Je crois qu'il y a eu confusion entre Royaume de Dieu et système politico-social satisfaisant. Et qu'il ne faut pas la reproduire. Et qu'en tout cas, cette confusion montre l'erreur au sujet de l'espérance. Car s'il y avait espérance, ceci seul manifesterait combien nous sommes loin de ce royaume que nous attendons, auquel nous travaillons, qui reste secret, caché, mystérieux. L'espérance permet de discerner des signes invisibles de ce royaume en effet à l'œuvre, mais ils ne sont visibles que pour l'espérance. Or, sitôt qu'il y a confusion entre Royaume de Dieu et système politico-social (juste, pacifique, etc.), il n'y a plus d'espérance, car on marche par la vue, par les réalisation concrètes, par les évidences. Mais l'espérance se situe justement au-delà de ces évidences. Et si elle discerne les signes secrets, elle sait aussi qu'elle s'annulera quand le royaume sera là, mais tant qu'il y a seulement ces signes, elle est seule raison de vivre et de continuer.
L'espérance est l'anti-information :
Lorsque nous sommes bien informés, que nous connaissons, par une transmission adéquate de nouvelles, des faits, la réalité même de ce qui s'est produit ; qu'espérerions-nous au sujet de ce qui s'est produit ? [...] C'est pourquoi l'espérance est lié à la Révélation : car celle-ci n'est jamais de l'ordre de l'information. Je ne reviens pas sur cette question qui a été si souvent débattue et sur les terribles erreurs de compréhension biblique qui ont entrainé et qui entrainent encore la confusion entre Révélation et information (la Genèse nous donnant des informations, des enseignements sur la façon dont la création s'est ée, ou dont la rupture entre Dieu et l'homme s'est produite... ce qui est évidemment absurde.) Ce qui nous est Révélé n'est jamais en soi objectif, mais ce qui est jugé par Dieu nécessaire pour notre vie, pour notre salut, pour notre liberté... [...] Nous ne pouvons pas résoudre l'énigme de Dieu, trouver une solution au problème de la vie, de la mort, de la création, mais seulement prendre une décision par rapport à une révélation qui engage notre existence et qui n'a aucun contenu pour celui qui n'engage pas son existence sur cette décision (si vous voulez savoir que mes paroles sont de Dieu, faites ce que je vous dis...). C'est un débat bien connu, que je me borne à rappeler, Bultmann ayant redit ce que tant d'autres, et surtout Kierkegaard, avaient dit avant lui. Si je le rappelle, c'est seulement en fonction de l'espérance.
Optimisme, pessimisme :
Soyons au clair : optimisme et pessimisme sont des sentiments humains, parfois dérivants de jugements de valeur. C'est une façon de prendre la vie. Certes l'optimisme est parfaitement légitime dans la vie chrétienne au sens de "tout accueillir, ne rien juger d'avance" : l'optimisme comporte justement cette ouverture et cette joie qui sont exclues par le pessimiste, mais cet optimisme est aussi faux que le pessimisme dans la mesure où il implique une sorte de jugement final : tout se terminera bien. Il est bien vrai que, dans la grâce et par grâce tout se terminera bien. Mais effectivement par grâce, et ni par hypothèse, ni par certitude ou conviction humaines. La grâce n'autorise aucun optimisme, interprétation humaniste d'une certitude trop assise. Il n'est sûrement pas bon d'utiliser dans un sens éthique la célèbre phrase de Paul : "Là où le péché abonde, la grâce surabonde." Nous sommes ici en présence d'une vérité révélée de l'action de Dieu, en présence d'un message théologique.
La relativité :
La relativisation n'est possible qu'à partir d'un Transcendant. Toute théologie de l'horizontalité voue l'homme à se choisir des absolus parmi les valeurs humaines et de ce fait, parce que précisément elle ne sont pas absolues, à les affirmer et les garantir par la violence, la contrainte et l'oppression. Il faut en effet bien comprendre que le Transcendant existant par lui-même n'a besoin pour être d'aucune oppression, d'aucune violence, d'aucune victoire. Au contraire, un quelconque relatif adoré comme absolu ne peut se déclarer absolu devant les hommes qu'au prix d'une victoire matérielle sur des hommes. Mon dieu est plus fort que le tien, la preuve, c'est que je t'ai battu. Ainsi la théologie de l'horizontalité, avec ses bonnes intentions, de libérer l'homme d'un Père abusif et de rencontrer Dieu dans l'autre, conduit inéluctablement à déclencher croisades et bûchers. Mais, dira-t-on, c'est précisément au nom du Dieu Trinitaire et Tout-Puissant, que la chrétienté a opprimé les hommes, a lancé ses croisades et ses guerres divines... Certes, oui : mais c'est seulement la preuve que l'on ne prenait pas au sérieux la toute-puissance et l'absolu du Dieu de Jésus-Christ. Ce fut la tentation constante. Il n'était pas assez efficace, alors on lui ajoutait de l'efficacité humaine, c'est-à-dire que l'on faisait er ce Dieu au rang des valeurs absolutisées. C'est ce contre quoi l'Ancien Testament ne cesse de protester. Mais l'homme s'y laisse toujours reprendre. Il veut bien Jésus-Christ, mais en y ajoutant de la science, de la politique, de la puissance, etc. Seul le Transcendant rigoureusement affirmé, maintenu, cru, obéi, garantit la relativisation de tout ce au nom de quoi l'homme tue et opprime les autres hommes : car à partir du moment où il s'agit de faits, de valeurs, de théories connues comme strictement relatives, agères, douteuses et inadéquates, alors il devient bien plus difficile de tuer et d'opprimer les autres.