Prison Break
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le 3 juin 2025
La collection « Ma nuit au musée » est une curieuse idée littéraire (j’irais jusqu’à saugrenue) autant qu’un coup marketing génial : envoyer des écrivain·es célèbres et légitimes er une nuit dans le musée de leur choix, et leur tirer un livre de cette expérience. On ne peut s’empêcher de se demander dans quel musée on irait, et de se dire que c’est tout de même une idée bizarre. Que faire seul·e, une nuit durant dans un musée, sinon se laisser aller à l’introspection ? Certainement pas irer des œuvres. Et ce n’est pas Christine Angot qui me contredira : non seulement elle emmène sa fille avec elle, mais elle ne va pas voir les collections de Pinault et repart même dès 1 heure du matin.
Et que tire-t-elle donc de sa soirée au musée, en l’occurrence la Bourse du commerce de Paris ? Un grand texte sur l’art, l’argent, la vie. Christine Angot met en abîme son propre livre en l’écrivant puisqu’à l’occasion de cette commande, elle réfléchit aux rapports complexes de la littérature et l’argent, rappelle à toutes fins utiles que les auteur·ices sont payé·es une misère pour ce qu’ils écrivent, et qu’à moins d’être bourgeois ou rentier (les deux n’étant pas incompatibles), le statut et l’activité d’écrivain ne sont pas matériellement accessibles à tout le monde. Si l’on retire l’argent qu’on ne gagne pas de l’équation, que reste-t-il dans tout ce fatras ? Pour l’autrice, un engagement total, un sacerdoce, une « possession » (p. 154).
Un an après la publication de mon premier roman, j’avais reçu une lettre de Gallimard, et monté l’escalier le cœur battant pour décacheter dans l’appartement, la somme était tellement faible que j’en avais pleuré. Donc, pour moi, écrire, c’est quelque chose qu’on fait sans raison, quelles que soient les circonstances, sans autre engagement que le sien. Écrire vraiment. (p. 21-22)
Angot oscille toujours entre les registres en faisant surgir la violence inouïe de l’inceste au détour d’un paragraphe, dès la deuxième page de texte, comme pour rappeler au lecteur distrait où il se trouve : en littérature, là où le langage dit quelque chose de la vérité du monde.
Mon père, que j’ai rencontré à ce moment-là, et qui habitait Strasbourg, me rendait visite ou ait me chercher en voiture. On s’arrêtait sur la route chaque fois qu’il y avait quelque chose à voir. L’apprentissage des termes d’architecture et la traduction des inscriptions latines, sur les bâtiments ecclésiastiques ou civils, faisaient partie de la promenade. Et alternaient avec l’inceste que je subissais au retour à l’hôtel. (p. 10)
Si elle ne parle pas des œuvres exposées qu’elle ne va pas voir – et tant mieux, je m’en fous –, elle en profite pour revenir sur plusieurs épisodes de sa vie d’écrivaine et de personnage public ; son introduction dans les milieux de l’art par Sophie Calle et Catherine Millet, la trahison de son amitié par cette immonde ordure de Yann Moix (jamais cité, et c’est moi qui parle), le rôle de son éditeur Jean-Marc Roberts…
À plusieurs reprises, elle doute de sa légitimité d’écrivaine. Après Le Voyage dans l’Est, Christine Angot fait pourtant une nouvelle démonstration de l’importance de son travail littéraire. L’écriture est une besogne solitaire, mais la littérature est une affaire collective. Je ne sais pas si Angot se réclamerait de Samuel Beckett, mais à la lire, je pense à la réponse de Sam à la fameuse question de Libération, « Pourquoi écrivez-vous ? » : « Bon qu’à ça ».
Le projet de Nuit au musée m’était apparu au début comme une petite bulle, qui pouvait être légère, facile, mais dans laquelle s’étaient engouffrées toutes les routes que j’avais prises toutes ces années, et ce que représentait l’écriture dans ma vie. À la fois une joie et un serrement de gorge, parce que j’étais collée à l’ordinateur. C’est là que je vis. Ma vie, c’est là qu’elle se fait. Dans un lieu qui n’existe pas, et où je suis seule. (p. 153)
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Créée
le 16 mars 2025
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