Sur le papier, ça n'avait rien pour m'intéresser; j'ai déjà dit ici le peu d'intérêt que je portais aux histoires adolescentes. Mais ici, on croise Hunger Games (les navets en chapelet, là...) et la Faim du Tigre (l'essai fébrile de Barjavel sur nos appétits d'espèce), quasiment, alors je pouvais espérer trouver un angle d'approche qui ne me laisse pas aveugle et sourde au fond d'un puits après la 3ème ligne... non, et puis, surtout, c'est du Colette, donc ça me fait l'effet qu'une tartine de confiture de mirabelles fait à une guêpe. J'ai commencé ma cure il y a 5 ou 6 livres, et le confinement me donne l'occasion d'écumer les étagères de la bibliothèque maison, à la recherche de nouvelles croquettes à me mettre sous la dent. Celle-ci est l'avant-dernière. Après le Fanal Bleu, il faudra sortir impérativement sortir de la crise sanitaire, vous voilà prévenus, au moins, ça met un horizon à notre captivité. Mais pour l'instant, c'est transat et bain de soleil pour suivre les frémissements adolescents de Phil et Vinca, ce petit couple promis à une vie conjugale relativement conventionnelle par un é commun de vacances en Bretagne et des parents complaisants. Sauf que Phil est une tête-à-claque parfaitement détestable, qui donne du Phil à retordre à sa jeune amie, tout juste à l'orée de sa vie de femme. Elle apprend à la dure, à travers les vexations et les rodomontades d'un petit macho inconscient et égocentrique, que Colette n'épargne guère, malgré la tendresse qu'on lui sent pour les jeunes éphèbes. Pas un galbe, pas un duvet qui lui échappe... Heureusement, pour donner un bon coup de pied dans cette fourmilière estivale oisive, il y a la mystérieuse vieille peau (elle a 32 ans!) de la villa d'à côté, qui va se poser en initiatrice de l'ado désœuvré et taraudé par de petits picotements mal placés. Et c'est le début de la fin, ou en d'autres termes, c'est là que le roman devient intéressant, même pour moi. Tout le monde connaît l'histoire; à part la dernière page, elle est finalement de peu d'intérêt. Ce qui en regorge, par contre, d'intérêt, ce sont les descriptions pénétrantes que cette fine mouche de Colette fait des remous un peu troubles qui agitent notre ado patenté. Vinca est plus opaque, nimbée d'un mystère qu'on reconnaît tous facilement au féminin et qu'il faut peut-être renoncer à percer pour qu'il opère les changements qu'il doit initier autour de lui sans perdre la force de son charme. Toujours est-il que notre écrivaine poyaudine, rouée de la plume qu'elle est, fait là de sacrée trouvailles stylistiques : les parents sont réduits à une masse d'ombres informes, c'est tout ce qu'on a besoin qu'ils soient, après tout, mais chaque plante des chemins bretons est dotée d'une vie et d'une personnalité propres, tandis qu'on a l'impression tenace que le véritable personnage central, c'est la météo. Ou plutôt l'air breton, animé d'une vie propre, chargé d'odeurs cartographiées avec la minutie d'un chien truffier, qui charrie des nuages répertoriés avec l’œil avisé d'un devin romain. Bref, même quand on s'en fout un peu des soubresauts sentimentaux ou de la vie sexuelle des jeunes, on finit par se délecter de l'écrin qui sert de cadre à leurs démêlés. Sans malgré tout perdre de vue les dérisoires activités humaines qui s'y déroulent, et là, elle est vraiment forte, la Colette. Total, encore un moment de lecture qui arrache des exclamations devant tant de trouvailles glorieuses. On se dit que la langue française était faite pour ça, et rien d'autre, et on commence à regarder de travers les autres auteurs, qui ne savent pas lui rendre l'hommage qu'elle mérite et que, heureusement, Colette a su lui rendre longuement.