Voir L’armée des douze singes à 19 ans est une expérience du temps dans ce qu’elle a de plus plaisante. Nous sommes en 1996, le blockbuster du moment se teinte d’une coloration un peu branque et arty, le scénario surprend et ménage un twist assez savoureux et émouvant.
Parce qu’à 19 ans, je l’ets, je n’ai pas encore vu La Jetée. Et qu’en ce temps dont je vous parle, Internet balbutie, et que ma cinéphilie se limite à ce que mon cinéma de province diffuse, ou les VHS assez pouraves et en VF, bien sûr, qu’un voisin me prête. Autant dire que je suis à la masse.
En 1996, donc, j’ai vu ce qu’on me laisse voir. Même pas Brazil, que je connais pourtant parce que mon père nous faisait un cadeau le dimanche matin : il nous racontait au petit déjeuner le film qu’il était allé voir au cinéma la veille au soir. Et je vous jure que j’ai entendu un paquet de films comme ça : Alien, Fitzcaraldo, Théorême, L’homme qui voulut être roi, La déchirure, Mission, Le dernier empereur, La grande bouffe… Ma cinéphilie est née dans ma tête : j’ai réalisé par mon imaginaire un paquet de scénars que mon père m’a transmis par tradition orale.
Mais je m’égare dans les méandres du temps.
J’ai commencé à aller voir des films seul aux alentours de 1991. J’ai vu des merdes pas possibles, mais je m’en tapais pour de multiples raisons. D’abord, je n’avais pas de goût. Ensuite, j’avais été tellement sevré (une télé presque toujours éteinte à la maison) que le simple fait de me retrouver dans une salle obscure suffisait à mon bonheur. J’ai adoré La manière forte, avec Woods et Michael J.Fox , j’ai adoré Backdraft ou Bugsy, j’ai été choqué par Le prince des marées avec Nolte et Streisand, ou Fisher Kink de Gilliam, justement.
Autant de films impossibles à noter aujourd’hui, et qu’il vaut mieux, je pense, ne pas revoir, pour conserver intacte la fraicheur de ma réception adolescente. Avoir revu l’année dernière Le Cercle des poètes disparus a suffi à étayer cette théorie.
Tout ça pour dire que revoir L’armée des douze singes fut une expérience temporelle un peu douloureuse. Le film était éventé. Son esthétique assez kitsch (la version en Blu-ray accentue cette photographie laiteuse et clinquante), son mélange assez laborieux entre film mainstream et imagerie propre au créateur de Brazil, son humour peu efficace desservent beaucoup l’originalité du scénario. De celui-ci, on retiendra surtout le jeu sur les conséquences et les allées et venues entre é et futur qui ménagent quelques rebondissements intéressants, comme les coups de téléphone par exemple. Pour le reste, l’histoire entre Stowe et Willis, en plus d’être improbable, est assez fade. Certes, reprocher un manque de crédibilité à un film traitant du voyage dans le temps peut sembler incohérent. Pourtant, cette prétention de Gilliam (qui fonctionnait dans la romance de Brazil) est clairement revendiquée, notamment à travers les intertextes assez lourdingues de Vertigo.
Voilà. Le temps e, et moi avec. Je regrette mon ancienne Armée des douze singes, et en bon révisionniste, je garderai à l’esprit mon émotion première plutôt qu’à ce visionnage.
(6,5/10)
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